Bientôt dans vos assiettes, les protéines du futur
Avec 9 milliards d’êtres humains en 2050, un des enjeux majeurs pour nourrir la population sera la production de protéines. Alors légumineuses, insectes ou viande in vitro, quelles sont les alternatives pour en produire en quantités suffisantes ?

De la viande produite en laboratoire ou bien des insectes pour accompagner nos légumes ? On en est encore loin, mais à en croire les projections, d’ici quelques dizaines d’années, il pourrait bien s’agir d’une nécessité. »Toutes les études montrent que c’est sur la quantité de protéines qu’on sera le plus limités », explique d’entrée de jeu Jean-Michel Chardigny, directeur de recherches au Département Alimentation Humaine à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), d’ici à 2050, la population mondiale devrait en effet être passée de 7,4 milliards d’êtres humains à plus de 9,1 milliards. Pour nourrir une telle quantité d’individus, la production alimentaire devra augmenter de 70 %.
« Dans tous les pays du monde, quand la richesse augmente, quand le PIB augmente, la part de protéine animale dans la consommation augmente. Evidemment, on ne part pas du même niveau quand on regarde le Bangladesh et les Etats-Unis, mais on a toujours cette tendance-là, et en particulier quand on regarde les populations indiennes ou chinoises. Cette tendance fait qu’on a, à l’échelle planétaire, une plus forte demande en protéines, et plus particulièrement en protéines animales. Si nous n’évoluons pas avec des sources nouvelles, c’est clair que nous allons droit dans le mur en terme de sécurité alimentaire mondiale. » Jean-Michel Chardigny
Malgré un infléchissement de la consommation de protéines d’origine animale dans les pays occidentaux, notamment dû aux crises alimentaires successives (vache folle, abattoirs, etc.), l’augmentation générale de la population tire encore la demande vers le haut. « Dans les pays occidentaux, on a des apports excessifs en protéines. On en consomme plus que ce dont nous avons besoin, mais surtout on consomme à peu près deux tiers de protéines d’origine animale pour un tiers de protéines d’origine végétale, alors que les recommandations sont plutôt de l’ordre moitié-moitié, rappelle Jean-Michel Chardigny. […] Il y a pourtant pas mal de sources alternatives autres : les protéines végétales mais aussi les algues, les insectes, etc. Toutes ces sources alternatives sont des options, même si elles ne sont pas toutes au même niveau d’avancement et de développement. » Petit tour d’horizon de ces solutions multiples.
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Les protéines végétales

La protéine végétale a beau sembler évidente, les Français ne font pas figure d’exemple en la matière : « En France, on est très faibles consommateurs de légumes secs (pois chiches, lentilles, haricots, etc.), précise Jean-Michel Chardigny. C’est 1,3 kilo par an de légumes secs, alors qu’en Italie c’est le double, et au Canada c’est près de 7 kilos par an et par personne. On a une marge de progrès très importante« . En cause une vision « un peu désuète » de ces aliments, souvent perçus comme « ceux de grand-mère« . « Il faut mettre en avant l’aspect source de protéines avant l’aspect féculent, qui a une connotation négative« , estime le directeur de recherches de l’INRA.
Pourtant, les protéines végétales bénéficient plutôt d’une bonne image, d’après Jean-Michel Chardigny, même si « il y a beaucoup d’éducation à faire, puisque quand les gens pensent protéines ils pensent viande ou œufs, mais sûrement pas lentilles ou pois chiches« . Une vision d’autant plus dommageable que privilégier la protéine végétale aurait un impact significatif sur l’environnement :
« Pour produire des protéines animales, il faut donner des protéines végétales aux animaux, que ce soit des poules pondeuses, des porcs, des bovins, etc. On a en moyenne une production de protéines animales avec un rendement de facteur 5. C’est-à-dire qu’il faut donner cinq tonnes de protéines végétales à des animaux pour récupérer une tonne de protéine animale. On a une énorme perte de rendement. »
D’où la nécessité de revaloriser les légumineuses, d’autant que ces dernières, en agriculture, ont l’avantage de fixer l’azote de l’air, et donc de diminuer l’utilisation d’engrais azotés dans les parcelles cultivées. « Elles contribuent à une approche qu’on qualifie d’agro-écologique. […] Il faut arriver à développer à la fois l’offre et la demande : que les agriculteurs en produisent plus et que les consommateurs en consomment plus. C’est un cercle vertueux qui doit se mettre en place, mais c’est plus facile à dire qu’à réaliser. »
En plus des légumes traditionnels, de nouvelles sources de protéines végétales sont en passe d’apparaître sur les marché, telles les protéines de colza ou de tournesol, susceptibles d’être utilisées comme ingrédients dans des formulations variées. « On a déjà des protéines de soja qui sont utilisées, ou des protéines de pois dans les gammes de produits qui sont, entre autres, vendus pour les végétariens, précise Jean-Michel Chardigny. Toutes les options peuvent être envisagées, pour peu que ce soit accessible en terme de prix et de goût. » Le marché est d’ailleurs d’ores et déjà occupé par les marques dites végétariennes, à l’image de la société Beyond Meat, qui produit du faux blanc de poulet à base de protéines végétales.
Les recherches s’effectuent non seulement sur le goût, principal levier de consommation, mais également sur la capacité d’assimilation des protéines végétales par le corps humain, moins efficace que celle des protéines animales. Les protéines végétales sont en effet entourées de fibres, mais aussi de composés qui peuvent compliquer un peu leur digestion. « Ça fait partie des travaux de recherche sur la formulation, les associations de protéines dans des aliments pour que la situation soit améliorée« , assure Jean-Michel Chardigny.
« Globalement ce qu’on appelle la biodisponibilité est meilleure pour les protéines animales, comparé aux protéines végétales. Mais de toute façon, dans nos pays, on en consomme trop, donc si on a des pertes, ça n’est pas dramatique en soi. »
Les algues

« Pour l’instant il n’y a que deux algues autorisées en Europe, la chlorée et la spiruline« , précise Jean-Michel Chardigny. L’utilisation des algues pour l’alimentation humaine paraît d’autant plus intéressant que la spiruline, par exemple, peut contenir jusqu’à 70 % de protéines… contre 25 % pour le soja.
Paradoxalement, faute d’intérêt, ce type d’algues n’est pas produit à grande échelle en Europe, où l’algue est considérée comme un ingrédient plutôt qu’un aliment en soi. On la retrouve d’ailleurs dans le Soylent, une boisson-repas produite par une société américaine censée couvrir tous les apports nutritifs journaliers nécessaires. Curieusement, le nom est inspiré du film « Soleil Vert », où, sur une planète Terre stérile, le gouvernement produit une boisson à base d’algues… en réalité composée à l’aide de cadavres humains recyclés.
Néanmoins, le futur des algues se jouera peut-être sur la limitation des surfaces agricoles : si ces dernières venaient à ne plus suffire pour produire les protéines végétales, les ressources maritimes présenteraient alors un intérêt non négligeable.
Les insectes

« A travers le monde, il y a 2 milliards d’habitants qui consomment des insectes régulièrement. En Europe, culturellement et réglementairement, on n’y est pas encore. Mais ça fait partie des options. Certains insectes sont d’ailleurs des candidats un peu plus sérieux et sont autorisés en Belgique, comme le ver de farine, le grillon ou la mouche soldat. »
En France, la consommation d’insectes est interdite, du fait de la législation européenne. Pourtant, la FAO l’envisage comme une des solutions les plus crédibles pour endiguer la demande croissante de protéines, d’autant que là où produire un kilo de viande nécessite huit kilos de nourriture, produire un kilo d’insectes comestibles n’en nécessiterait que deux. Et si les insectes sont riches en protéines, ils le sont également en lipides, en calcium, en fer et en zinc.
Reste qu’en dépit de l’interdiction, le principal frein à la consommation d’insectes est le blocage culturel. Dans l’immédiat, ce type de productions est donc surtout envisagée pour nourrir le bétail. « Les insectes sont une des options envisageables pour diminuer les quantités de protéines importées, explique Jean-Michel Chardigny. Mais aujourd’hui le verrou est économique : une tonne de soja importée d’Amérique du Sud est ce qui coûte le moins cher, et pour le bétail le facteur prix est évidemment majeur. Mais le coût des protéines de soja peut aussi augmenter parce que la Chine et l’Inde en absorbent de plus en plus. Ce sont les lois du marché. »
Le verrou, surtout, est encore d’ordre réglementaire : « Qu’est-ce qu’on leur donne à manger ? Interroge Jean Michel-Chardigny. Comment trace-t-on la sécurité sanitaire des insectes ? Comment gère-t-on les éventuels contaminants ? Qu’est-ce qu’on fait rentrer dans la chaîne alimentaire ? » Pour débloquer le dossier, les producteurs doivent répondre aux exigences du label européen « Novel Food », attribué par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Mais le directeur de recherches au Département alimentation humaine de l’Inra se veut confiant : « on peut penser que l’utilisation de farines d’insectes pour certaines productions animales, et en particulier les poissons et les volailles, sera réglementairement possible dans les prochaines années. Et quand je dis ça, ça n’est pas 30 ans, mais plutôt entre 2 et 5 ans. »
La viande in vitro

Longtemps objet de science-fiction, la viande de synthèse est devenue réalité en 2013, lorsqu’une équipe de chercheurs de l’université de Maastricht est parvenue à reproduire et former des fibres musculaires à l’aide de cellules souches prélevées dans les muscles de bovins adultes. Le steak issu de ces fibres musculaires, colorée à l’aide de jus de betterave faute de sang, avait été estimé à un prix de 250 000 euros. De quoi calmer les velléités de production à l’échelle industrielle, quand bien même la production de viande in vitro permettrait de réduire drastiquement la consommation d’eau, d’énergie, et la taille des surface d’élevage, à l’heure où 70 % des terres arables dans le monde sont utilisées pour produire de la viande.
« Ce type d’approche avec les cellules souches, en terme de questions de recherche, c’est un défi, estime, un brin sceptique, Jean-Michel Chardigny. Mais en termes de production de masse on n’y est pas encore, et je ne pense pas qu’on y soit un jour. Ce sera peut-être utile pour partir sur Mars, comme les insectes d’ailleurs. »
Grâce à la production de viande in vitro, une seule vache devrait permettre de produire 175 millions de steaks. Mais cette viande n’est pas exempte de défauts : le résultat final est encore loin d’avoir la même saveur qu’un steak, faute des éléments constitutifs de la viande animale, tels le gras ou les nerfs. Reste que le projet d’imprimer de la viande en 3D est toujours d’actualité, et que les chercheurs se consacrent maintenant à l’amélioration du goût et du coût des techniques de production de cette viande de synthèse, dont les conséquences à grande échelle, sur la santé comme sur l’environnement, sont encore à évaluer.